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Regards2022_oeuvre Philippe Decrauzat ©Rebecca Fanuele

Regards 2022

Rapport annuel 2021

La Fondation Leenaards cherche à accompagner les mutations de la société en soutenant des projets et en stimulant des initiatives dans les domaines culturel, âge & société et scientifique, au sein de l’arc lémanique.

"Accompagner les mutations sociales avec agilité et humanisme"

Michael Balavoine
Comment le Covid long vous a-t-il permis de vous réunir autour de ce projet commun de métamodèle ?

Olivia Braillard
Le Covid long est une porte d’entrée idéale pour discuter avec des thérapeutes complémentaires. Tout simplement parce que la médecine conventionnelle que nous pratiquons dans nos centres hospitalo-universitaires n’a malheureusement pas grand-chose à proposer face à cette pathologie. En effet, celle-ci nous oblige à sortir des schémas classiques, y compris du fameux axe biopsychosocial. Avec le Covid long, une grande partie de la situation nous échappe. Il s’agit, du coup, d’élargir les perspectives thérapeutiques et, pour cela, de rassembler les différentes approches et de partager les points de vue d’horizons divers. Lors de la rencontre organisée par la Fondation Leenaards, nous nous sommes rendu compte que le fait de réaliser un bilan ensemble avec les patientes et patients devait être la toute première étape. De mon point de vue de généraliste hospitalière, c’est une occasion de faire de la « narrative-based medicine » : on sort des données et des chiffres pour écouter le vécu des patientes et patients. Puis on se sert de leurs narrations comme base d’un processus de guérison. L’idée du projet que nous menons peut paraître banale, mais le fait de se constituer en un groupe de soignants avec des approches très diverses pour offrir une prise en charge la plus cohérente possible se fait encore très peu en médecine générale. Une telle manière de collaborer évite par ailleurs certainement des formes d’errance thérapeutique très pénibles à vivre pour les personnes concernées.

De mon point de vue de généraliste hospitalière, c’est une occasion de faire de la « narrative-based medicine » : on sort des données et des chiffres pour écouter le vécu des patientes et patients. Puis on se sert de leurs narrations comme base d’un processus de guérison.

Olivia Braillard

Mayssam Nehme
A la consultation de Covid long du Service de médecine de premier recours est très rapidement apparue une nécessité absolue de coordination avec les différents professionnels de santé et avec les patientes et patients. Pas seulement parce que nous n’avons que peu de thérapies à proposer, mais aussi parce que ces malades ont souvent recours aux thérapies alternatives. Ce type d’attitude se retrouve d’ailleurs souvent dans le cadre des maladies chroniques telles que la douleur ou la fatigue. Or, il existe une explosion de l’offre dans le domaine des thérapies alternatives. Pour un médecin généraliste, savoir pourquoi recommander une approche alternative plutôt qu’une autre s’avère très difficile. Sans même parler de son rapport avec la médecine conventionnelle, le domaine des thérapies complémentaires manque de coordination. Ce projet Leenaards va nous permettre, non pas de trouver une solution – il faut rester humble face à cet immense défi –, mais de commencer à réfléchir à des améliorations en termes de coordination des soins. Laquelle constitue une de nos tâches centrales dans un service de médecine de premier recours.

Le Covid long nous démontre une réalité observée pour de nombreuses autres maladies chroniques : si les médecins ne travaillent pas en équipe multidisciplinaire, les patientes
et patients se chargent eux-mêmes de créer cette équipe thérapeutique autour d’eux.

René Descartes

René Descartes
En fait, le Covid long nous démontre une réalité observée pour de nombreuses autres maladies chroniques : si les médecins ne travaillent pas en équipe multidisciplinaire, les patientes et patients se chargent eux-mêmes de créer cette équipe thérapeutique réunissant divers professionnels de santé autour d’eux, notamment en provenance des médecines alternatives. Parfois, le risque pour le patient est d’exclure le médecin dit conventionnel de « l’équipe », par peur d’être jugé ou désapprouvé, ce qui péjore à la fois la qualité du dialogue et celle des soins. On se retrouve alors face à une fragmentation entre différents acteurs thérapeutiques, agissant isolément, ce qui entraîne un véritable risque de dysfonctionnement du système de soins au sens large du terme.

Christophe Sauthier
Il y a ce besoin de coordination, c’est certain, mais aussi de partage des connaissances. En tant qu’ostéopathe, j’ai appris, lors de l’anamnèse, à éliminer ce qui n’est pas de mon ressort et que je dois référer ailleurs. Une fois les problèmes graves écartés, l’ostéopathe a un credo : c’est le corps qui commande. On cherche à voir et à sentir ce qui se passe dans les tissus. Mais, au-delà de cette approche propre à ma pratique, comment fonctionnent les autres thérapies complémentaires ? Ce sont cette curiosité et ce besoin de compréhension des autres approches que je trouve essentiels dans ce projet. Il y a bien sûr les thérapies alternatives classiques, qui sont déjà largement pratiquées dans les hôpitaux, comme la méditation ou l’hypnose. Mais, dans ce projet, il y a la volonté d’élargir le champ des possibles, d’aller à la rencontre de modes de pensée complètement différents, pour voir si des convergences sont possibles et augmenter le champ d’action et d’investigation.

Il y a ce besoin de coordination, c’est certain, mais aussi de partage des connaissances. En tant qu’ostéopathe, j’ai appris, lors de l’anamnèse, à éliminer ce qui n’est pas de mon ressort et que je dois référer ailleurs.

Christophe Sauthier

M. B.
Concrètement, comment allez-vous organiser ce partage ?

O. B.
C’est une partie intégrante du projet, mais nous n’avons pas de baguette magique ! Nous avons besoin d’expérimenter par nous-mêmes pour trouver la bonne méthode. Se mettre à plusieurs thérapeutes avec une patiente ou un patient constitue déjà une première pour ce genre de pathologie. Il va falloir déterminer ce dont chacune et chacun a besoin pour mieux appréhender la pratique des autres. Un patient partenaire a par ailleurs été intégré à la démarche. Car l’idée de notre grille d’analyse n’est pas qu’elle serve uniquement aux praticiennes et praticiens pour dialoguer entre eux, mais aussi qu’elle participe à une meilleure interaction avec les personnes malades. Car c’est bien auprès d’elles que doivent se rejoindre toutes les démarches thérapeutiques.

M. B.
Vous dites que cette approche intégrative est une première. Ne devrait-elle pas être la norme pour de nombreuses autres pathologies complexes ?

O. B.
Le cœur du travail des médecins de premier recours est de coordonner. Ils et elles le font déjà pour la médecine conventionnelle en rassemblant les cardiologues, les pneumologues ou encore les infectiologues autour d’une même situation. Réunir les avis, analyser et prendre une décision ensemble avec le patient ou la patiente : cette intégration est le moteur même de notre pratique. En revanche, ajouter les médecines complémentaires à notre pratique se fait encore peu. Néanmoins, se diriger vers cette forme d’intégration plus large me paraît être une évolution naturelle du travail des médecins généralistes. Il y a trente ans dominait une médecine dite « monopathologique », essentiellement infectieuse. Cette médecine s’est transformée en quelque chose de plus complexe : on soigne mieux, mais les personnes vivent du coup avec plusieurs pathologies concomitantes. Pour faire face à ces nouveaux besoins, il me semble dès lors tout à fait légitime d’intégrer des approches plus larges. Les médecins de premier recours, en tout cas en Suisse, sont sans doute les spécialistes les plus adéquats pour effectuer ces bilans intégratifs et jouer ainsi un rôle de pivot entre les différents mondes de la santé. Pour l’heure, les approches intégratives entrent encore par la porte des pathologies pour lesquelles la médecine conventionnelle n’a que peu de solutions à proposer. A terme, je pense que toutes les maladies chroniques devraient bénéficier d’une consultation intégrative. C’est un changement culturel. Il sera certainement progressif, mais le mouvement est en marche et il faut l’accompagner pour le rendre harmonieux.

A terme, je pense que toutes les maladies chroniques devraient bénéficier d’une consultation intégrative. C’est un changement culturel. Il sera certainement progressif, mais le mouvement est en marche.

Olivia Braillard

C. S.
En réalité, ce type d’approche qui allie les médecines conventionnelles et complémentaires correspond déjà au parcours que font de nombreux patients et patientes. L’idée au cœur de notre projet, c’est de rendre ce cheminement plus cohérent, moins informel et surtout plus efficace. Le grand enjeu est certes d’ouvrir les possibles, mais plus encore de veiller à ce que la personne ne soit pas perdue avec un premier thérapeute qui lui parle de souffle de vie, un autre de vertèbres et un dernier du qi (l’énergie en médecine chinoise, ndlr). Notre projet vise ainsi à proposer quelque chose de structurant autour de l’offre actuelle et à expliciter le « qui fait quoi à quel moment» du processus thérapeutique.

Face à l’actuelle explosion des thérapies alternatives et complémentaires, les patientes et patients peinent en effet à s’y retrouver. Nous ne pouvons pas simplement les laisser livrés à eux-mêmes !

Mayssam Nehme

M. N.
Face à l’actuelle explosion des thérapies alternatives et complémentaires, les patientes et patients peinent en effet à s’y retrouver. Nous ne pouvons pas simplement les laisser livrés à eux-mêmes ! Et même si nous manquons encore cruellement de données et d’informations pour les aider, nous nous devons de les accompagner le mieux possible.

R. D.
C’est vrai qu’il faut imaginer une intégration qui soit bidirectionnelle. D’un côté, la médecine universitaire qui s’ouvre peu à peu à de nouvelles approches. De l’autre, les médecines alternatives qui acceptent l’idée d’une telle collaboration et la nécessité de mener des travaux de recherche sur la valeur ajoutée d’une approche intégrative pour la santé.

M. B.
Cette approche intégrative change-t-elle aussi la place occupée par les malades ?

C. S.
Oui, c’est une manière de leur redonner les manettes. La personne n’est plus là juste pour écouter, mais se voit restituer le savoir qui lui appartient. Elle peut faire des choix. Il me semble très important que chaque patiente ou patient puisse se réapproprier cette force de décision et déterminer ce qui est juste et important pour elle ou lui. La personne devient ainsi un être vivant multifacette et multidimensionnel qui interagit avec les nombreux éléments de son environnement qui peuvent soit perturber, soit harmoniser son potentiel de santé. Il faut dès lors dépasser le descriptif du contenu de ce qui est vécu pour en revenir au ressenti des patientes et patients, au travers de leur expérience de vie. Voilà l’unicité de chacune et chacun qui entre en jeu. Ainsi, deux personnes dans une situation qui paraît à la base identique au niveau des symptômes et de la pathologie ne vont en effet pas développer la même réponse si le contexte physique, émotionnel, mental ou spirituel est différent. Une approche intégrative permet de prendre en compte ces différentes dimensions dans la réponse « biologique » donnée. Un regard plus large sur la santé est ainsi offert.

O. B.
Il s’agit en effet d’une approche qui dépasse les soins pour s’intéresser à l’être vivant dans sa globalité. Nous ne sommes plus dans un schéma où un médecin reconnaît une pathologie et prescrit le bon médicament, ni d’ailleurs dans celui, dit « patient centré », où ce dernier reçoit un message coordonné de plusieurs spécialistes. Non, là, nous parlons de « personne concernée ». Le terme n’est peut-être pas très bien choisi, mais il veut bien dire que nous ne sommes plus dans une relation hiérarchique : tout le monde fait partie de la même équipe. Il s’agit d’un partenariat.

Deux personnes dans une situation qui paraît à la base identique au niveau des symptômes et de la pathologie ne vont en effet pas développer la même réponse si le contexte physique, émotionnel, mental ou spirituel est différent. Une approche intégrative permet de prendre en compte ces différentes dimensions.

Christophe Sauthier

R. D.
Cette vision horizontale de la situation, où chacun fait partie d’une même équipe, est essentielle. Sur un plan pragmatique, cela aide à recueillir et intégrer de nombreuses informations sur la personne et ses différentes dimensions. Des données qui pourraient sembler potentiellement anodines dans le cadre d’une consultation conventionnelle, mais qui ont tout leur sens dans une approche intégrative. Dans ce cadre, il est dès lors essentiel que la personne se sente véritablement écoutée et entendue.

M. B.
Votre projet s’inscrit dans un service de médecine universitaire. Est-ce le signe d’un changement de perception et de culture dans ce milieu ?

M. N.
Dans le monde hospitalo-universitaire, il existe une sensibilisation aux approches intégratives plus grande que par le passé, comme c’est d’ailleurs le cas dans l’ensemble de la société. Cette évolution n’a pas attendu notre projet pour être initiée. En revanche, le Covid long a permis de déstigmatiser certains symptômes, tels que la fatigue chronique, qui peuvent parfois être mal perçus dans les institutions universitaires. On croit encore trop souvent que ces troubles se situent « dans la tête » des individus. Or, l’énorme savoir-faire du monde scientifique commence à mettre en lumière la réalité de syndromes jusqu’ici négligés. Le Covid nous a obligés à investiguer la physiopathologie de maladies pour lesquelles la médecine conventionnelle n’avait que peu d’intérêt. Et comprendre ce qui se passe dans le corps aide à une véritable reconnaissance du problème.

Dans le monde hospitalo-universitaire, il existe une sensibilisation aux approches intégratives plus grande que par le passé, comme c’est d’ailleurs le cas dans l’ensemble de la société. Cette évolution n’a pas attendu notre projet pour être initiée.

Mayssam Nehme

M. B.
Ce projet représente-t-il aussi un moyen pour la pratique de terrain de profiter des compétences du monde académique ?

O. B.
Oui. Travailler dans un milieu universitaire permet de mettre les méthodologies de la médecine conventionnelle au service de la médecine intégrative. Les protocoles et la mesure des résultats, nous maîtrisons. Dans le cadre de notre projet pilote, nous allons dans un premier temps suivre un petit groupe de cinq personnes. Le but n’est pas d’obtenir des changements fondamentaux, comme une évolution de l’échelle de la douleur. Nous nous intéresserons davantage à leur ressenti. Par exemple, cette approche a-t-elle permis à la personne d’être mieux écoutée ? Y a-t-il des gains subjectifs pour elle ? Est-elle devenue actrice de sa situation ? Dans un deuxième temps, nous essaierons d’élargir la démarche, avec l’objectif que ce modèle puisse sortir des murs de l’hôpital et contribuer à une transition vers des pratiques de soins plus larges.

M. B.
Avez-vous l’impression que le système de santé actuel va aider à la transformation intégrative que vous appelez de vos vœux ?

M. N.
Notre espoir est de développer et généraliser ces approches intégratives à l’ensemble des maladies chroniques. Pour cela, il faudrait que ces prises en charge soient remboursées par l’assurance maladie. Malheureusement, les récentes décisions politiques vont dans le sens contraire. Au niveau de la tarification, le temps de coordination remboursé a plutôt diminué pour la gestion des maladies complexes. Or, organiser tout cela demande du temps. Ce n’est pas qu’une affaire d’aiguillage. Pour piloter les trajectoires individuelles au plus près des besoins, il faut de l’écoute, un esprit de synthèse et énormément d’échanges entre professionnels et avec les patients. Ce travail de suivi rapproché est crucial, mais cependant très peu valorisé.

O. B.
Nous pouvons faire cet énorme travail de coordination dans un centre universitaire parce que, dans le cadre de la recherche, nous pouvons nous permettre de ne pas faire de la rentabilité l’unique priorité. Mais l’industrialisation du système de soin rend cette mutation compliquée. Beaucoup de choses restent à changer dans le modèle de financement pour que ce travail de coordination entre les différents mondes de la santé devienne possible. Pour cela, il faudra montrer que cette approche est efficace pour les patientes et patients.

C. S.
J’ai l’impression que si un projet comme le nôtre peut se développer dans un centre hospitalo-universitaire, c’est un signe que le système a déjà commencé à bouger. Non parce qu’il l’a voulu ou que les caisses maladie le souhaitent : ces approches intégratives gagnent en importance parce que de plus en plus de patientes et patients en font le choix. A la longue, leurs besoins, leurs envies, leur curiosité obligeront le système de santé, dans sa globalité, à s’adapter.

R. D.
De nombreuses résistances peuvent apparaître. Mais il me semble aussi que ce mouvement vers plus d’intégration est en marche. Il devra néanmoins faire ses preuves tant sur le plan de l’efficacité que sur celui du respect des coûts. Intégrer les pratiques conventionnelles et non conventionnelles, c’est en définitive rendre le système actuel plus fonctionnel ; c’est forts de cette conviction que nous restons confiants pour l’avenir.

Ce mouvement vers plus d’intégration est en marche. Il devra néanmoins faire ses preuves tant sur le plan de l’efficacité que sur celui du respect des coûts.

René Descartes

Biographies


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Olivia Braillard

Médecin spécialiste en médecine interne générale, Olivia Braillard travaille au Service de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) depuis 2010. En accompagnant des malades chroniques, elle développe un intérêt pour l’éducation thérapeutique du patient (ETP) ainsi que pour les approches biographiques de la relation médecin-malade.

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René Descartes

Médecin diplômé depuis 1991, René Descartes a obtenu son doctorat de médecine en 1995. Il a par la suite suivi des formations approfondies en acupuncture et en homéopathie. Il exerce à titre indépendant depuis 1995.

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Mayssam Nehme

Après sa formation en médecine interne générale aux Etats-Unis, Mayssam Nehme intègre le Service de médecine de premier recours des HUG dès 2016. Cheffe de projet du dispositif genevois de la coordination des soins de la personne âgée fragile (COGERIA) de 2018 à 2021 – et plus récemment coordinatrice de la consultation post-Covid aux HUG –, elle se rend compte à quel point une prise en charge holistique est nécessaire pour bien soigner les patient.e.s.

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Christophe Sauthier

Ostéopathe diplômé de l’Ecole suisse d’ostéopathie, Christophe Sauthier travaille en cabinet privé multidisciplinaire – alliant médecine, naturopathie, acupuncture, thérapie psycho-corporelle, suivi pré et post-natal et massages – depuis 1998.




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